top of page
Trans Day of Remembrance: Pas Un·x·e de Plus ! Vers la Libération !

Autrice: Rosa Favre

Le 20 novembre, nous célébrons la journée du souvenir trans, où nous commémorons les personnes transgenres que la transphobie nous a arrachées.

Nous nous rappelons de celleux qui ont perdu la vie de leur propre main, souvent poussé·x·e·s par le désespoir de vivre isolé·x·e·s dans une société les opprime. Nous pensons aussi à celleux qui ont été tué·x·e·s aux mains de quelqu’un d’autre.

Parmi les victimes de ces meurtres au motif haineux, un nombre disproportionné d’entre elles sont des femmes trans, racisées, et travailleuses du sexe. Et l’auteur le plus probable est un homme cisgenre. Tous les ans, l’on recense aux environs de 300 victimes—certainement une large sous-estimation, une bonne partie des victimes mourant dans l’anonymat et la misère. Une autre partie des victimes vivaient aussi certainement « stealth » : sans que personne d’autre que leur meurtrier ne soupçonne leur transidentité.

En d’autres termes, la violence transphobe s’exprime majoritairement comme une violence patriarcale et raciste, et en concordance avec elle. D’autre part et crucialement, c’est la violence capitaliste qui permet de déclasser les personnes transgenres, de discriminer à l’embauche, et les amène à se tourner vers des emplois mal rémunérés.

Partout dans le monde, nous pouvons observer une tendance flagrante et dangereuse qui met en péril les maigres acquis au cours de la dernière décennie, pour lesquels la communauté trans a durement lutté. Dans le cadre d'un dérobement juridique global, des droits fondamentaux sont retirés, les personnes trans sont utilisées comme boucs émissaires de toutes sortes (que ce soit pour l'élection de Donald Trump, l'impérialisme occidental, dans le sport, etc.). Les crises du capitalisme impérialiste l'obligent à intensifier la lutte des travailleur·x·euse·s—en particulier ceux du Sud global, mais aussi les couches marginalisées du noyau impérialiste. Parallèlement, les partis de la droite populiste recourent aux tendances réactionnaires de la classe ouvrière pour rationaliser sa propre exploitation. Les libéraux et la gauche réformiste, quant à eux, soit n'exercent aucune résistance, soit échouent totalement à mettre en œuvre une protection supplémentaire et des droits élémentaires pour les personnes trans. Dans de nombreux cas, ils adoptent la ligne de la droite.

Aux États-Unis par exemple, les femmes transgenres touchent des salaires 60 % moins élevés que le travailleur moyen—ce qui inclut donc aussi la paie injustement réduite des femmes cisgenres, et des personnes racisées ! En Suisse, le taux de chômage des personnes transgenres est 6 fois au-dessus de celui du reste de la population. Les personnes trans’ acceptent alors un métier avec un salaire 30 à 45 % moins élevé que pré-transition.

Et quand la discrimination se fait trop forte, les personnes trans (comme les femmes cisgenres) se tournent vers le travail du sexe comme une dernière alternative pour trouver des moyens de subsistance. Aux États-Unis, c’est ce que 13 % des femmes transgenres rapportaient devoir faire occasionnellement. C’est alors qu’elles s’exposent à d’autant plus de violences, qu’elles soient économiques, sociales (difficulté à trouver un logement, accéder à des soins de base, rencontres violentes avec des policiers), sexuelles ou physiques.

Contrairement aux libéraux bien-pensants, nous ne condamnons pas uniquement la violence transphobe quand elle fait « choc » comme pour une insulte dans l’espace public ou un meurtre. Nous voyons bien qu’elle découle de tout un système de marginalisation des personnes transgenres, et s’inscrit au cœur de l’exploitation capitaliste. La forme trumpiste de la fustigation du wokisme et des études de genres n’est qu’une instrumentalisation politique d’un bouc-émissaire afin d’établir la dictature la plus sanglante du capital sur tous les travailleurs, mais avec un acharnement délirant sur tous les groupes opprimés.

Par là même, nous condamnons fermement les démocrates américains. Leur stratégie de défense des personnes transgenres, inexistante puisqu’inappliquée durant les 4 années de présidence de Biden, n’a rien fait pour bloquer le laboratoire d’apartheid des trans’ qu’est la Floride de DeSantis. L’inaction démocrate a permis la diffusion de ce programme meurtrier et criminel dans le monde occidental. Nous en vivons la conséquence lorsque l’UDC-Genève propose de bannir les transitions pour mineurs.

La stratégie du vote modéré pour bloquer l’extrême-droite fanatique a démontré ses limites. Elle a de plus eu des conséquences dramatiques cette année : la jeunesse LGBTQ+ étasunienne ne voyait pas d’avenir le jour de l’élection de Trump. C’est ainsi que les lignes d’urgence LGBTQ+ ont été inondées par des jeunes trans’ au bord du gouffre. Une augmentation de 700 %. Nombre d’entre elleux se sont donné·x·e·s la mort. Les survivant·x·e·s racontent des histoires effroyables où iels ont perdu plusieurs ami·x·e·s en une seule journée. Le sang est sur les mains des démocrates, à qui profite la myopie tactique du « vote blue no matter who » !

La dernière élection américaine a occasionné un « gender-gap » hors-norme. Pas étonnant quand l’un des candidats est un véhément apôtre de l’interdiction de l’avortement. Dès lors, certaines femmes étasuniennes ont décidé de rejoindre le mouvement « 4B ». Nous devons absolument y prêter attention, car quand, en 2016, Trump était élu pour son premier mandat, les femmes étasuniennes menaient des manifestations d’ampleur qui ont inspiré la grève féministe en Suisse.

Ce mouvement, issu de la Corée du Sud—un boycott des relations sexuelles et romantiques avec les hommes—est né dans un contexte similaire de « gender-gap ». Ce boycott, aux allures sensibles, ne règle pas le problème à la source. La raison pour laquelle les jeunes hommes coréens sont tant imbus de machisme et visent à devenir patriarches, est que les conditions de travail y sont inhumaines. Avoir une servante à la maison constitue alors, pour le travailleur coréen, un soulagement sans pareil ; mais au contraire un fardeau sans commune mesure pour la travailleuse coréenne.

Il est compréhensible que face à la déception de ses homologues masculins, l’on les boycotte. Il n’y a d’ailleurs aucun mal à ce qu’une femme en particulier le fasse. Son corps, son choix, après tout. Toutefois, cela ne peut pas être une fin, car il ne remet pas la faute là où elle est réellement : sur les épaules des capitalistes de Samsung et compagnie en Corée, comme aux États-Unis !

Il y a qui plus est un revers pervers au mouvement 4B. Un tel boycott présuppose 1) le modèle hétéropatriarcal et 2) la rigidité essentialiste de l’attribution des genres. Cela se reflète dans une conception où l’homme est l’ennemi, antithétique à la femme—idée reçue cispatriarcale que tout mouvement pour les droits transgenres doit attaquer à la racine. 

Il est notre tâche d’opposer l’arrivée de ce mouvement en Suisse avec fermeté. Dans notre contexte, ce mouvement étouffera les débuts de la conscience militante féministe qu’a permise la grève féministe. Le mouvement 4B, bien qu’il exprime un sentiment légitime de confrontation à l’ordre patriarcal, représente une conscience de lutte inférieure à celle de la grève, car hors des circuits de la solidarité de classe et propice aux déviations TERFs. La grève féministe doit être maintenue et renforcée ! Nous n’avons en outre aucune alternative que de l’améliorer de l’intérieur par nos méthodes militantes trans-inclusives et révolutionnaires, afin que cette dernière tienne face au ras-de-marrée (justifié, face aux victoires des partis réactionnaires et machistes !) de la démoralisation féminine.

Ensuite, au contraire des féministes « radicales », nous ne voyons pas non plus dans l’absence de « passing » une preuve de bravoure ou de subversion des normes de genre, mais bien plus souvent comme les effets d’un système de soins qui ne prend pas en charge les transitions. Au contraire, une telle mise en avant de personnes transgenres spécifiques (binaires et sans passing) soutient le modèle binaire de genre en mettant les personnes trans’ non-binaires quasiment sur un pied d'égalité avec les transgenres dépourvues de passing. Nous ne considérons pas non plus que le respect des pronoms—autant nécessaire qu’il est—constitue le fer-de-lance de la libération transgenre. La lutte pour la libération des personnes transgenres dans la société capitaliste ne peut être gagnée ni par la simple politesse, ni par les seuls droits démocratiques. Une réduction aux revendications sociales ne leur rend pas non plus justice. Au contraire, ces luttes individuelles doivent être réunies—la lutte pour la reconnaissance dans la société et l'État en tant que personnes trans, ainsi que l'émancipation sociale de l'ensemble de la classe ouvrière.

Et contrairement aux réformistes intersectionnels, nous refusons d’admettre un particularisme transgenre qui nécessiterait une lutte entièrement à part. Les violences que nous avons décrites sont, à bien des égards, une simple amplification de ce que subissent d’autres groupes opprimés. Elles sont régies par le même capitalisme qui asservit chaque travailleur·x·euse, le même patriarcat qui humilie, viole et tue les femmes qui ne veulent pas se mettre au service d’un mari, le même racisme qui déclasse, qui surveille et déshumanise toute personne racisée.

À cause de cela, il est inacceptable de constater que les personnes transgenres sont chassées des syndicats. Que ce soit à cause de la transphobie ambiante, ou du manque de reconnaissance du travail du sexe. Les personnes transgenres soutiennent massivement toute initiative féministe, dont la grève féministe, largement construite sur la base militante syndicale. Le comité de l’UNIL, à bien des égards beaucoup plus à gauche que le reste du mouvement, compte dans ses rangs un large nombre de militant·x·e·s trans’. Il est temps qu’iels soient reconnu·x·e·s par le mouvement syndical et féministe comme une des couches les plus combatives et avancées des travailleur·x·euse·s. Et que par là, la direction de ces mouvements se doit de militer pour elleux, d’appliquer leurs programmes, et vice-versa.

C’est pourquoi nous demandons :

- Que la transphobie soit reconnue comme un motif de discrimination ! L’on doit incorporer et appliquer des protections aux personnes transgenres équivalentes à la LEg pour les femmes cisgenres. La transphobie doit être enfin reconnue comme motif de crime de haine, et en constituer une circonstance aggravante.

- Pour une éducation sexuelle appropriée, qui couvre non seulement la sexualité hétérosexuelle, mais aussi la sexualité homosexuelle et la santé transgenre. Cela signifie aussi une transformation radicale de la santé. Il faut une assurance maladie unifiée et publique (la caisse maladie unique) qui inclut un droit inconditionnel à l’avortement, aux produits menstruels, à la contraception, aux soins d’affirmation du genre, et un mécanisme pour combattre le sexisme, la transphobie et le racisme dans la santé. Pour que les enfants transgenres puissent mener une vie digne, il faut qu’iels aient le même accès aux transitions que tout adulte !

- Pour un changement civil du genre, qui se fasse à la simple déclaration administrative, et gratuitement. Pour l’inclusion d’une option non-binaire !

- Pour un droit au logement et aux systèmes sociaux inaliénables, pour tous les travailleur·x·euse·s du territoire suisse !

- Afin que les personnes transgenres aient le même accès aux syndicats que les personnes cisgenres, il faut pouvoir élire les délégué·x·e·s syndicaux·x·ale·s avec la révocabilité de la direction par la base. La base, menée par des militant·x·e·s transgenres, doit pouvoir s’organiser pour dégager une direction transphobe ! Pour la création de branches de minorités de genres au sein des syndicats et des partis, avec le droit de s’auto-organiser et de s’appuyer sur l’organisation entière pour appliquer leurs demandes !

- Pour une délégation de FLINTA+s ouvrier·x·ère·s qui vérifient que l’égalité salariale soit respectée, avec un indice qui lui semble approprié, et ce pour toutes les entreprises. Pour une juste représentativité des minorités de genres en son sein ! Et si les patrons ne savent pas la respecter, que l’on les exproprie sans compensation !

- Notre conviction que le travail du sexe est une des horreurs au fondement de l’exploitation patriarcale et capitaliste ne doit pas nous informer d’une volonté d’abolition immédiate de celui-ci. Au contraire, envoyer la police sur des groupes lumpénisés [c.à.d. qui ont été rendus criminels par absence d’accès à un travail salarié légal] ne peut résulter qu’en des flots de sang des exploité·x·e·s. La question de l’abolition ne peut être réglée que sous le socialisme.

Ainsi, nous revendiquons en un premier temps :

- le droit de se syndiquer des travailleur·x·euse·s du sexe !

- la régularisation de ce travail, afin qu’il bénéficie des mêmes protections que tout autre travail.

- la transformation des maisons closes en collectifs autogérés de travailleur·x·euse·s du sexe

- des programmes de reconversion complets, spécialement pour les personnes qui travaillent dans des conditions dangereuses et non volontaires

- une ligne téléphonique anonyme et autogérée pour les violences sexuelles, spécialement pour les travailleur·x·euse·s du sexe

À plus long terme, nous disons :

- à bas les proxénètes qui régissent les corps des travailleur·x·euse·s du sexe et se font de l’argent en les exploitant ! Tant que les conditions matérielles du travail du sexe n’ont pas été abolies, c’est aux travailleur·x·euse·s de l’organiser et d’en récupérer tout le fruit !

Notre programme d'action pour la grève féministe

bottom of page